Il fait chaud. Les brebis se serrent à l’ombre d’un grand frêne pour se soustraire à la morsure du soleil. Les patous halètent alors que l’astre atteint son zénith. Non loin du parc une fontaine glougloute et apporte un peu de fraîcheur. Quelques randonneurs passent et regardent avec crainte les chiens qui aboient. Nous attendons le grand départ, l’heure à laquelle la masse blanche va regagner le plateau du Vercors après un séjour printanier sur les prairies surplombant Grenoble. Les chevaux ont rejoint le troupeau la veille à la suite d’une journée de marche sous une chape de plomb.
Un 4x4 arrive, traînant une petite remorque pour charger les derniers nés et les boiteux. Une agitation soudaine anime tout le monde. Mes parents ainsi que des amis nous ont accompagnés pour assurer le bon rapatriement du troupeau jusqu’à la bergerie. Une bonne vingtaine de gais lurons suivra donc le convoi animal.
Les filets ouverts, une marée de
brebis agitées se déverse dans un vaste pré vert. Un dernier coup d’œil pour
s’assurer que tout le monde a quitté l’enceinte du parc et une petite séance
sportive commence. Les tous petits, les malades et les éclopés sont attrapés
rapidement et enfournés dans la petite carriole pour éviter qu’ils ne nous
ralentissent de trop ou qu’on ne les perde. Les patous veillent avec sérieux à
tous nos mouvements et guettent d’un œil inquiet notre manège. Puis nous
partons. Pascal, l’éleveur, se met en tête pour mener le troupeau. Je reste à
l’arrière pour veiller au grain et m’assurer que tout le monde suit la longue
file de laine.
Dré dans le pentu, tout le monde
sue pour arracher quelques pas à la longue sente qui nous mène jusqu’à Saint
Nizier du Moucherotte. Les brebis peinent et avancent par à-coups. Derrière,
les chevaux s’impatientent. Certains piétinent, d’autres tirent la langue, tous
les marcheurs n’ont pas le même rythme. Le long du chemin des badauds et des
riverains sortent leur appareil photo et nous saluent avec force flashs et
sourires béats. Le son des cloches et des redons les enchante ; il est
si rare aujourd’hui de voir passer un troupeau sur le pas de sa porte…
Passé Saint Nizier le chemin
reprend un dessin plus doux et cesse de grimper. S’ensuit une longue marche à
travers les bois pour rejoindre Lans en Vercors. Les brebis s’étirent en un long
méandre entre les arbres. Au-dessus de nos têtes se dressent les remparts qui protègent le
plateau des Ramées et le Moucherotte. Seuls les chamois cabriolent sur ces
pentes escarpées où une entaille rocheuse, le pas de la bergère, permet l’accès
aux bipèdes.
En cinq heures nous regagnons
finalement la bergerie et les prés familiers. Les bêtes croisent une cohorte de
voitures qui viennent du centre-ville ; les agneaux se faufilent entre les
véhicules et il faut avoir un œil de tout côté pour ne pas en oublier un.
Certains sourires sont crispés, les gens sont heureux de voir passer le
troupeau, mais regardent avec effroi les cornes des boucs frôler leur
carrosserie et leur rétroviseur.
Le soleil commence à basculer
derrière les crêtes occidentales des Quatre Montagnes. Les brebis s’acharnent à
manger le plus d’herbe possible et les chevaux se roulent et s’étirent aux
dernières lueurs de la journée. Dans quelques jours, tout ce petit monde sera
en alpage.
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