Les Hauts Plateaux du Vercors


On prend les mêmes et on recommence !

Il semblerait qu’Ulric ait pris goût aux randonnées itinérantes. Après notre séjour dans le Pilat, je lui propose de venir une nouvelle fois se brûler les mollets dans le Vercors, direction : Les Hauts Plateaux. Juin c’est l’idéal, les prairies sont fleuries, mais les brebis et les patous ne sont pas encore là. Sachant qu’Ulric a une forte propension à s’attirer des ennuis sur les chemins, ce sera un sujet de préoccupation en moins pour les deux jours à venir.

Le départ se fait à partir du pied du Montaiguille, au village de Richardière. Deux petits kilomètres nous permettent un échauffement en douceur sous le soleil. De petits points de couleur dodelinent de la tête au milieu de l’herbe. Le temps est idéal pour l’ascension. On grimpe assez rapidement jusqu’à la stèle qui rappelle à la mémoire les évènements de la Seconde Guerre Mondiale. Le Vercors a servi de maquis, de lieu de résistance. Malgré ses hauts remparts, ses bois et ses sentiers escarpés, la montagne est tombée. Le sac sur le dos, il est à la fois très difficile et très étrange de s’imaginer que les crêtes calcaires et les pas rocheux ont été des lieux d’affrontement. Ici, aujourd’hui, on n’entend plus le bruit des fusils et des bombes. Il n’y a que le silence. La nature a repris ses droits et, sans le monument aux morts, on ne se douterait de rien.

Nous laissons derrière nous le Pas de l’Aiguille et le passé et poursuivons vers la cabane de Chaumailloux. Le chemin serpente ici et là de façon un peu aléatoire. Les repères et les balises sont rares par ici. Le sentier que nous suivons devient une sente de brebis au milieu des croupes boisées, des tertres herbeux et des lapiaz. Ce n’est pas le GR. Tant pis, il n’y a personne et c’est ce que nous sommes venus chercher. Je prends un azimut vers le sud et nous nous y tenons jusqu’à nous rapprocher des falaises entre la Tête du Peysse et le Petit Jardin. Je ne peux m’empêcher de penser aux bergers du secteur. Le terrain est irrégulier, boisé, plein de trous et de bosses et le regard ne va pas très loin. Une vraie galère. Rajoutez à cela un brouillard épais un jour de mauvais temps et vous êtes sûrs de perdre des brebis. J’entends d’ici le loup qui rigole.

Ulric au milieu des lapiazDans le vallon du Jas Neuf

Nous marchons au milieu des trolls, ici en groupes serrés dans une combe, là solitaire près d’un caillou. Nouvel azimut pour prendre plein ouest jusqu’au Carrefour des Quatre Chemins de l’Aubaise. Il n’est pas toujours facile de trouver où passer entre les lapiaz et les scialets, mais nous finissons par trouver l’étroit sentier qui descend dans la combe. Une petite pause s’impose avant de reprendre les bâtons. Nous n’avons encore croisé personne. Le sentiment d’avoir la montagne « pour soi » est extraordinaire.

Par le GR, nous remontons jusqu’à la Cabane de Pré Peyret et sa source pour remplir les gourdes. L’eau est rare sur le plateau et il vaut mieux prendre ses précautions. Ulric garde encore le souvenir de longues heures assoiffées et nous repartons les bouteilles pleines. Il y a un peu plus de monde ici, les sources jouant le rôle de fontaines du village. On ne s’attarde pas au milieu de la foule et nous prenons le chemin de la Plaine de la Queyrie. On peut entendre parler de cette plaine, on peut en voir des photos sur Internet, on peut s’imaginer ce qu’elle est, ses couleurs et ses formes. Pourtant… Pourtant quand on arrive dans la Plaine de la Queyrie, on en garde le souffle coupé. De mémoire, quelque chose comme « Ha ouai, putain, c’est beau ! » a dû m’échapper. À côté de moi Ulric aussi a les yeux qui pétillent. En vrai, c’est mieux. Mieux que les photos, les histoires et tout ce qu’on pouvait s’imaginer. Comme des gosses, on abandonne nos sacs à dos derrière des rochers et on part à la conquête de la plaine. On reste étonné devant le pin solitaire qui domine de loin ses compères rabougris, on escalade les anciennes carrières romaines, on espionne les marmottes, on vadrouille derrière chaque colline, au fond de chaque petit vallon. On profite de la magie des lieux. Une magie si forte qu’elle semble désorienter les boussoles. Nous rencontrons au milieu de la plaine un couple qui cherche son chemin. Ils sont persuadés d’être plus au sud, vers la Bergerie du Jas Neuf. En discutant avec eux on se rend compte que l’orientation n’est pas leur fort. Et quand on apprend où ils veulent se rendre, on se demande s’ils y arriveront vraiment avant la nuit.

On reste dubitatif. Non, la montagne n’est pas un parc de loisirs. Non, on ne peut pas venir se promener comme si de rien n’était sur les Hauts Plateaux. Non, on ne peut pas faire « comme si » et espérer que tout se passe bien. Comme si c’était facile de lire une carte, comme si c’était facile de faire 25 ou 30 km par jour, comme si on pouvait se passer d’eau pendant toute une journée, comme si on était des aventuriers et que rien ne pourrait nous arriver. La montagne n’est pas une aire de jeu au sol couvert d’un revêtement matelassé pour éviter les bosses. Tomber, en montagne, peut être mortel. Perdre son chemin, en montagne, peut être mortel. Ne pas arriver à la cabane le soir, en montagne, peut être mortel. S’imaginer qu’on est invincible, en montagne, peut être mortel.

On donne les indications nécessaires aux deux perdus et on part dénicher un coin où dormir. On n’a pris que la toile extérieure de la tente et il nous faut donc dégoter un espace relativement plat qui ne soit pas une cuvette de collection des eaux en cas d’averse. Le beau temps est prévu pour les deux ou trois jours à venir, mais je préfère rester méfiante. Le Vercors est un traître en matière de météorologie. Une fois installés, on repart gambader autour du campement. J’ai vu une source d’eau sur la carte et la trouve derrière un surplomb rocheux. En fait de source, il s’agit d’une petite retenue collinaire aménagée à côté d’une cabane de berger. Les bachats sont pleins et personne n’occupe les lieux. Parfait ! Nous avons une magnifique salle de bain à ciel ouvert. Rien de mieux que de l’eau froide pour effacer la lassitude de la journée. Le souper englouti on se glisse dans les duvets, sans oublier de régler le réveil à minuit.

La Plaine de la Queyrie

L'arbre solitaireMarmote dans la Queyrie

Arbre Solitaire de la Queyrie

La sonnerie nous réveille au beau milieu de la nuit. C’est un peu dur de se lever, mais le coup était prévu. Cette nuit, c’est la pleine lune. On n’a même pas besoin de lampes torches pour descendre de notre promontoire. Tout est en demi-teinte. L’arbre taillé étire une ombre déformée sur l’herbe sombre. C’est irréel. Prendre des photos se trouve être difficile, voire impossible. Je n’ai pas l’appareil adéquat. Tant pis, à défaut de clichés, les souvenirs sont là. On retourne se coucher des étoiles plein les yeux.

Tente sous la lune

Nouveau coup de sonnette au petit matin. On veut partir tôt pour éviter les fortes chaleurs lors de la grimpette au Grand Veymont. On quitte la plaine de la Queyrie, bien heureux d’avoir dormi, solitaires, sous les cieux. Car plus on se rapproche du Pas des Bachassons, plus l’espace montagnard semble mité par les toiles de tente. Une, deux, trois, quatre… une bonne dizaine au total, égrenée jusqu’à la cabane des Aiguillettes. Et autour de la cabane, plusieurs ânes qui braient, entourés d’autres ânes qui braient. Eh ben !

Levé de soleil sur la Plaine de la QueyrieEn direction du Grand Veymont
Sentier très techniqueSous le Petit Veymont
Vue sur le Mont Aiguille

Voyant tout ce monde, on accélère un peu le pas. Sur le chemin qui mène au sommet, on double quelques personnes, avant de se faire doubler par des coureurs qui jouent le chrono. On reste un moment au sommet pour admirer la vue. Une petite gorgée de Chartreuse pour se requinquer et se donner du courage et on redescend. On quitte les sentiers battus pour prendre une sente qui part de sous le Grand Veymont jusqu’au Petit Veymont. Mouais. Fausse bonne idée. Le début du sentier est facile puis on se retrouve vite au milieu d’une pente bien drue. La chute n’est pas permise. Concentrés, nous franchissons pas à pas ce mauvais moment et finissons dans un pierrier. Encore une minute ou deux puis nous remettons les pieds sur le plancher des vaches, dans la prairie qui monte à l’assaut de l’Auiguillette. Des marmottes se font dorer la pilule au soleil. On ne traîne pas trop, pourtant, car il nous reste encore un bon bout de chemin pour rejoindre la voiture.

Le sentier du Pas des Bachassons nous ramène aux Granges, puis nous remontons sous le Mont Aiguille. Il fait chaud, le soleil cogne dur. Au-dessus de nos têtes, des grimpeurs ont commencé à s’accrocher aux rochers pour monter le Mont Inaccessible. On les entend ici et là, sans vraiment les voir. Nous jetons un dernier regard au Trièves et aux falaises avant de descendre vers la Richardière. J’ai ramené Ulric entier. Une belle réussite !

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