Traversée des Alpes (Nouvelles 3)

Partie 3 : Les Alpes italiennes et autrichiennes en vélo

Je suis rentrée. Enfin, je crois. Chez moi, j’ai encore bien du mal à croire à toute cette aventure. Pourtant, je l’ai fait. Je suis parvenue en vélo jusqu’à Graz, à l’est de l’Autriche, de l’autre côté des Alpes. En vélo ! Si l’on m’avait dit qu’un jour j’affronterais les plus hauts cols routiers alpins, qu’est-ce que j’aurai ri ! Et sans entraînement en plus. Personne n’y croyait vraiment, pas même moi je dois dire. Cette troisième et dernière page du voyage fut sans conteste la plus surprenante de toutes. Mes petites jambes ont parcouru quelque 1 600 km de bitume et de pistes et un peu plus de 37 500 m de dénivelée positive en 19 jours. Mille six cents kilomètres inattendus au creux de vallées froides et profondes, le long de flancs boisés à perte de vue, aux pieds des plus beaux sommets qui m’aient été donné de voir. Mille six cents kilomètres d’effort récompensés par des panoramas incroyables et des rencontres pleines de générosité et de gentillesse. J’ai ramené, en plus de quelques photos, bien des souvenirs avec moi. Mais je crois bien que j’ai laissé, quelque part, une partie de moi-même sur les routes.

Comment oublier l’ascension orageuse du grand et terrible Stelvio aux arrêtes rocheuses qui transpercent le ciel ? Comment revenir indemne après avoir posé les yeux sur les sommets déchiquetés des merveilleuses Dolomites ? Comment effacer le souvenir de cette lutte acharnée contre le Grossglockner, ou pire encore, de cette petite route rurale menant au Passo Nigra aux douloureux 24 % (et il ne s’agit pas d’un taux d’alcool) ? Ce voyage est-il seulement fini, ou n’est-il que le commencement d’autres aventures montagnardes ?

À traverser les Alpes, on a quelquefois le sentiment d’une visite inachevée. En trois mois je n’ai pas pu tout voir ou tout faire au cœur de ces magnifiques montagnes. Bien des chemins m’ont échappé, cachés sous les hautes herbes bercées par le vent, dissimulés par des surplombs rocheux, râpés par les vaches et les brebis. Il reste tant de sommets à parcourir, tant de cols à franchir, tant de sentiers à découvrir et tant de personnes à rencontrer. À peine rentrée, en vérité, je pense déjà aux prochains projets, aux prochaines randonnées. Ce voyage m’a également donné à réfléchir. Des montagnes sauvages du sud de la France, abandonnées ou presque, mais accessibles à tous, aux versants aseptisés des montagnes italiennes et autrichiennes, minutieusement entretenues à la motofaucheuse, mais payantes… j’ai eu bien des débats avec moi-même à propos de ces immenses espaces. Des questions, il m’en reste beaucoup à poser aux montagnes et à ceux qui l’occupent, ou qui l’ont occupé.

Ce voyage m’a donné envie de continuer et d’aller plus loin dans chacun de mes projets.

Les Alpes m’ont émerveillée. Vraiment.