Il y a du monde au balcon


Il fait chaud. C’est l’été. On transpire à grosses gouttes dès les premiers pas. Au-dessus de nos têtes, on distingue les franges ensoleillées des falaises du Vercors. C’est là-haut, tout là-haut, qu’on doit aller. Partie de Saint-Paul-de-Varces avec Ulric, on quitte assez rapidement le chemin balisé qui mène jusqu’au Col de l’Arc pour trouver une sente discrète entre les hautes herbes. De vieux chemins serpent entre les bois, jalonnés par les emplacements de charbonnières oubliées. Difficile de s’imaginer que les hommes montaient jusque là pour couper des arbres et en faire du charbon de bois. La pente est raide, on franchit plusieurs zones escarpées, l’inattention n’est pas permise. Combien d’hommes ont débaroulé dans la pente, combien sont morts, combien se sont tordus les chevilles dans ces pentes glissantes pour acheminer cet or noir ? Un peu plus loin à l’ombre des fayards se trouve une glacière flanquée au fond d’un scialet. La glace n’a pas tenu jusqu’au plus fort de l’été. Une masse gris clair nous laisse penser un moment à un amas de neige tapi au fond de sa grotte, on se rend compte, déçus, que nos yeux nous ont joué un tour. Ce n’est qu’un rocher plus clair qui contraste avec l’obscurité des lieux. 

Dans les bois, les sentes ont disparu. Plus guère de traces à suivre au milieu des feuilles mortes et des branches pourries. Il faut escalader des couloirs d’humus glissant où on s’enfonce jusqu’aux chevilles au milieu de courts ressauts rocheux, puis poursuivre des cairns semés au milieu des bois comme de petits arbustes de pierres. On transpire encore un coup avant de déboucher dans des prairies fleuries où plus aucun mouton ne vient mettre l’onglon. Abandonnés, les alpages scabreux ! Il n’y a ici que des chamois et des bouquetins… et des guêpes de terre qui trouvent Ulric très à leur goût. Je le vois courir dans la pente, se jeter au milieu des arbustes, jurer, crier, se frapper le visage, les bras et les jambes. Résultat des courses, une dizaine de piqûres ici et là. Bienvenue dans le Vercors ! L’incident douloureux nous pousse à rester plusieurs minutes sous l’Arche des Crocs. La voûte calcaire offre un peu d’ombre au randonneur ébahi. Comment ne pas s’imaginer, à l’époque, que quelques mains gigantesques avaient taillé ce rocher ? Pluie après pluie, goutte après goutte, l’eau a évidé les roches et creusé le calcaire. 

Ulric dans une montée particulièrement difficileLe Rocher de l'Ours

Arche naturelle du Rocher de l'OursSentier en balcon

Nous ne traînons pas, la route est encore longue. Nous montons jusqu’au chemin du Balcon Est et prenons vers le sud, sous la pierre Vivarie. En plein jour et en plein été, on ne peut que la contempler. Ce n’est qu’une grande pierre parmi d’autres qui se chauffe au soleil et contemple la vallée. Mais le soir de Noël, celui qui se rend sur les flancs de la montagne, pourra déplacer la pierre Vivarie et, peut-être, trouver le trésor qui s’y cache. 

La difficulté du chemin tient pour grande partie au fait qu’on a du mal à garder les yeux sur nos pieds. La vue est très belle et on se laisse vite tenter par un coup d’œil sur les sommets alpins. Il faut pourtant faire attention à chaque pas. L’autre grand piège est le soleil… et on se laisser avoir comme des débutants. On devient de plus en plus rouge au fil de la journée, écrevisses montagnardes qui font claquer leurs bâtons sur le sol. C’est embêtant et en plus c’est moche, car seule une moitié du corps est exposé côté adret. De quoi se payer un bronzage de dahut. Sous le Cornafion, on a dû rater un petit embranchement entre deux pierres, car on se retrouve sur une sente sans balisage. C’est parti pour une nouvelle grimpette au milieu des cailloux et des herbes. Ici on suit moins notre instinct que celui de ma chienne qui a tôt fait de retrouver le bon chemin. Ulric commence à se demander si je ne veux pas me débarrasser de lui. 

Le soir, l’air de bivouac est un point imposé par la ressource en eau. On pose la tente vers le pré Achard où une source crachote dans un petit bachat. C’est le seul point d’eau du secteur à côté d’une zone plane pour dormir. Et le seul coin sur le Balcon où on peut siroter une bonne bière avec vue sur le Trièves, le Devoluy, les Écrins et les alpages proches. Popote, coucher de soleil et bonne nuit sous les étoiles. 


Balcon est du Vercors

Vue depuis le Balcon est


La lueur du jour nous réveille de bonne heure. On casse la croûte en attendant que Romain, mon conjoint, nous rejoigne pour la seconde partie du trajet. On a mis la barre un peu haut : Col des Deux Sœurs, les Moucherolles, retour sur le Balcon est jusqu’à Gresse en Vercors. On se met en marche avec les premiers rayons de soleil. La grimpette entre les deux frangines est impressionnante, mais assez aisée. Les prises sont bonnes, le pied trouve facilement où se poser et la vue reste magnifique. Au sommet, changement de décor. Le sol ondule entre pierres et herbe rase au pied d’un vaste plan incliné depuis les falaises. Ici et là dans un creux, on devine la longue chaîne orientale du Vercors. J’ai le sentiment d’être un petit microbe au milieu d’une grande rangée de dents. L’homme, comme une bactérie, a parfois creusé de grosses caries au milieu des montagnes. 


Sente sous les Deux SoeursUn troll figé par le soleil

Il faut poser les mains pour grimperUne sente un peu techniqueFalaise des deux Soeurs


Direction la Grande Moucherolle où nous attendent quelques bouquetins familiers. Ils n’ont peur ni des humains ni des chiens. Un peu plus et ils finiront pas nous taxer de l’argent contre quelques photos. On redescend avec prudence côté Petite Moucherolle. Il faut lancer le sac à dos par endroit pour désescalader en toute sérénité un ou deux passages avant de remonter sur l’autre versant au milieu de rochers saillants. Le chemin donne l’impression d’avoir été taillé à la hache. C’est toujours aussi beau et toujours aussi chaud. Montées et descentes nous ont pris plus de temps que prévu et nous arrivons au Pas de la Balme vers midi. On mange un peu plus loin sur le Balcon, à l’ombre. Les t-shirts sont mouillés, l’eau diminue dans les gourdes et la source que j’espérais rencontrer a tari. Oups ! Si on regarde l’itinéraire prévu, cela signifie qu’il nous reste encore quinze bornes à faire, sans eau ou presque, en sachant qu’on devra encore faire du stop pour retourner à la voiture. À l’unanimité, on choisit de continuer un peu jusqu’au prochain chemin qui nous redescendra dans la vallée. On marche quand même bien deux heures, le soleil dans la gueule et la bouche sèche. Au niveau de l’Abri de la Peyrouse, on prend la descente. C’est très raide, on coupe un ou deux virages. On perd le chemin, on retrouve le chemin, on le reperd. On navigue à vue sur les pistes forestières en espérant ne pas tomber sur une falaise qui nous obligera à faire demi-tour. Malgré le risque on court au milieu des résineux vers l’aval, advienne que pourra. Et on pourra. En bas, un reflet attire l’œil. Un petit ruisseau d’eau fraîche sourd juste à nos pieds. On a tellement soif qu’on ne sort même pas les gourdes et les bouteilles, comme Kobalt, on boit à même le sol. Rien n’est meilleur que l’eau pour celui qui a soif. 

Il nous reste encore un paquet de chemin à faire, le pouce tendu. La route n’est pas très passante et le peu de voitures qui circulent nous ignore. Heureusement, Romain leBarbu est connu dans le coin et on finit par trouver une connaissance qui nous ramène au Col de l’Arc. On remplit la voiture de nos odeurs amicales. La journée se finit à l’ombre des barres rocheuses, tandis que le soleil plonge à l’ouest, au-delà des montagnes du Vercors.


Vue sur les hauteurs de Villard de Lans

Sentier au bord des falaises

Des chamois au soleilSentier en balcon


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