Corps à corps avec le Vercors - Jour 5

Jour 5 - 23 km /  349 m + et 705 m



Pourquoi le nombre de kilomètres augmente-t-il donc d’un coup ? Je vous le demande. La nuit a été éprouvante et le matin glacial pour mes responsabilités envers mes chevaux. À minuit ma mère me secoue : « Il y a de l’orage, ça tonne fort ». Je sors en courant la lampe frontale ajustée à l’arrache, en short et en basket pour aller mettre les chevaux en sécurité. Les chevaux ? Mais quels chevaux ? Je ne vois rien. Ni Quartz ni Bandit. Je me dis dans un premier temps que je suis mal réveillée et que la pluie m’aveugle, Quartz doit être plus loin derrière la cabane et Bandit est peut-être couché. Mais non, les chevaux ne sont plus là. Je siffle, j’appelle et m’avance en courant sur le chemin qu’on a emprunté la veille. Mon cœur manque un battement, puis je respire. Les chevaux sont trente mètres plus bas, ils mangent nerveusement, mais ils ne sont pas allés plus loin. Ils ont tous les deux réussi à arracher leur pieu d’attache. J’attrape Quartz et le remonte à la cabane. Avec ce temps et les hautes herbes, impossible de remettre la main sur le matériel, les chevaux finiront donc la nuit attachés aux poutres de soutènement de la cabane de Carrette. On se brûle évidemment les mollets dans les orties avec mon père pour atteindre ces maudites poutres puis on descend tout notre barda pour dormir au rez-de-chaussée (les couchages étaient sur une mezzanine). Dormir, un bien grand mot. Je ne ferme l’œil que sporadiquement, réveillée par moment par mon père qui poursuit une chasse nocturne à la souris.


Cabane de la Carette

Je me lève et vais jeter un œil aux chevaux au petit matin. Bordel, qu’est-ce c’est que ça ? Bandit a un joli trou dans l’encolure que je n’avais pas vu dans la nuit. Une jolie pièce de 10 centimes taillée dans la peau et qui s’enfonce gaiement dans l’épiderme et les premières couches de chair. Un peu secouée, je pense d’abord à la foudre, mais c’est improbable. Pas de trace sur le mur de la cabane, rien. On finira pas conclure qu’il s’agit sans doute du pieu qui, après s’être arraché, a rebondi sur l’encolure de Bandit en lui laissant une jolie plaie au passage. Je ne m’inquiète pas tout de suite. La plaie est propre, le cheval mange et bois. C’est sain et j’ai déjà vu des plaies bien pires. Vu les circonstances — plaie de Bandit et ciel qui se couvre de nouveau — je décide de mettre fin à la randonnée. On devait descendre par le Col Vert, mais il est impraticable par mauvais temps et moins encore avec une équipe fatiguée. Nous tirerons donc jusqu’à Lans en Vercors chez un ami éleveur pour nous mettre au sec jusqu’à trouver une solution de rapatriement pour les chevaux et les humains. Quartz est bâté, Bandit sellé et nous voilà repartis. La pluie nous accompagne bien évidemment, en bonne amie, et ne nous quittera pas jusqu’à Corrençon en Vercors.

Les chemins sous la pluie

Les chemins sont descendants, un peu caillouteux au départ, mais nous retrouvons rapidement une large piste forestière et les petites routes de montagne. À Corrençon, mon oncle appelle un ami à lui pour nous délester de notre matériel. Nous nous séparons. Les garçons prennent le bus pour rentrer sur Vif et récupérer les véhicules. Avec ma mère nous continuons à pied avec des chevaux totalement nus pour rejoindre Lans en Vercors. La route est longue, mes pieds me font souffrir à cause de l’humidité permanente, j’ai des ampoules et j’en ai marre. Marre de ce temps pourri qui ne nous aura pas lâchés de toute la randonnée. Marre de l’eau, de la pluie, des nuages. Et marre surtout, d’entendre dire « ha, mais sur Grenoble ça fait cinq jours qu’on a du beau temps, et il fait une de ces chaleurs en plus ! »... Bordel, mais je suis maudite ou quoi ? Je finis la randonnée sur Quartz, incapable de poursuivre à pied. J’ai la peau tellement mouillée que je la sens qui se décolle à chaque foulée. Nous gagnons notre abri final vers 16h30. Les chevaux ont du foin et de l’eau. Mon père nous retrouve avec la voiture. Kobalt est avec lui ! Maintenant, il faut trouver un moyen de les remmener à la maison. Mon compagnon pourra venir nous chercher, mais uniquement après la fenaison et les bêtes... pas bien avant 22h00 quoi.

Sieste dans les balles de foinRetrouvailles avec Kobalt

Bandit a un coup de mou et commence à m’inquiéter. Il mange moins, baisse moins l’encolure. Il est complètement mou, lui, le petit agité, le coureur de prairie, le merdeux des montagnes. Je n’ai sous la main qu’un mélange d’huiles essentielles pour le soigner. Mais je sens une baisse de forme générale. Le camion arrive et nous ramenons tout le monde à 23h00 dans leur pré, en sécurité. Ça couine un peu, Bandit va se réfugier auprès de Diego. Ce n’est pas bon signe.
...
Le lendemain Bandit a de la fièvre : 39,3 °C au lieu de 37,7 °C habituellement. L’infection est là, mais le véto est en congé. Heureusement j’arrive quand même à mettre la main sur un antibio (type pénicilline) en intramusculaire. Le petit gars se laisse soigner comme un chef. Surtout qu’après nettoyage à fond de la plaie je constate qu’elle est plus profonde que ce que je pensais — mais elle est propre. Première injection. La nuit passe. Au matin Bandit n’a plus de fièvre et il recommence à emmerder les autres. Il mange, il boit, il me fuit en trottant pour rejoindre les autres chevaux — je suis agacée, mais je souris, il va mieux !

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