Jour 8 : Entremont le Vieux - La Martinière


Les installations du camping me permettent d’être sur le pied de guerre à 8 h 40. Je règle mes dettes, vérifie de ne rien avoir oublié sur notre emplacement et jette un œil à la carte pour savoir dans quel sens partir. Le gérant nous a annoncé de la pluie pour la journée, les nuages sont poussés par le vent ici et là et il se pourrait bien, en effet, que nous nous prenions une petite saucée. Et rebelote...

Le chemin que nous a conseillé notre hôte est une autoroute à pieds nus. Les bas côtés sont larges et couverts d’un humus épais et souple. Les chevaux avancent bien malgré une petite baisse de régime par rapport aux jours précédents. Kayenne, notamment, manifeste des signes de fatigue évidents malgré la journée de repos. En montée elle ralentie, n’engage plus autant les postérieurs dans la descente et elle ne nous rattrape plus au petit trot. Quartz a quant à lui retrouvé son allure de cheval des montagnes. Il traîne comme à son habitude sur les grands plats, mais en montée il me dépasse presque et me pousse quelques fois à continuer plus avant alors que j’aimerai bien faire une pause.


ChartreuseNous arrivons à Saint Pierre d’Entremont Savoie, puis à Saint Pierre d’Entremont Isère, aux alentours de 11 h. Un arrêt dans une petite supérette me permet de faire le plein de vivres et de victuailles (Chouette, encore du saucisson). Je charge mes sacoches de gâteaux et de chocolat pour les petites baisses de régime. Quartz et Kayenne resteront sagement à attendre dehors, attachés à un anneau que le Saint-Esprit veut bien retenir dans le mur... Puis nous repartons. Je veux arriver au Planolet pour midi, mais le chemin est encore long.

Nous ferons une courte pause un peu après Saint Philibert. Je souhaitais passer par les pistes du Planolet pour rejoindre un sentier en sous-bois au-dessus de la station. Mais la pente est plus abrupte que ce que j’imaginais et les chevaux ont encore raccourci leur foulée. Kayenne me semble bloquée de l’arrière-main. A-t-elle mal aux pieds, les courbatures la contraignent-elles à ce point ? Encore une fois je doute. J’en demande sans doute trop à cette petite jument qui vient d’être mise sous la selle. Et Quartz ne fait rien pour l’attendre, grand benêt ! Je prends finalement la route pour rejoindre Saint Pierre de Chartreuse en espérant que cette initiative permettra de soulager les pieds des chevaux (si le problème venait de là). Mais sur la route ils se traînent tout autant sans jamais s’arrêter néanmoins. Ces chevaux me posent question. Ils me suivraient au bout du monde, quelles qu’en soient les conséquences. Je dois donc être d’autant plus attentive qu’ils ne manifestent guère leur mécontentement en cas de problème...

À Saint Pierre de Chartreuse, des sens interdits pointent partout leur visage rouge. Je croise deux chauffeurs de bus et leur demande quelle route suivre pour rejoindre la Diat. Ils m’indiquent un panneau un peu plus loin, mais me retiennent pour discuter un peu. Ils sont étonnés et envieux de ma démarche. Partir quinze jours avec des chevaux, c’est un rêve. Je leur explique le lot de mauvaises conditions qui peut survenir pendant une telle traversée, mais la pluie et les débâcles n’ont pas l’air de déformer la bulle qui vient de se former autour de leur tête. Ils me regardent partir avec un sourire rêveur et une petite lueur dans l’œil. Je me rends compte de la chance que j’ai, puis la réalité reprend le dessus. Chanceuse ou non, nous ne sommes pas encore arrivés, il va peut-être falloir passer la seconde.

Nous rejoignons rapidement la Diat. De là nous nous engageons sur le GR du Tour de Chartreuse (que nous avons emprunté toute la matinée déjà). Le chemin est mauvais. Quartz, foulée après foulée, monte parmi les multiples virages qui s’enroulent autour des arbres aux racines bondissantes. Kayenne nous suit à la traîne, mais elle nous rejoint finalement en soufflant. Nous traversons un parc à vaches en démontant un piquet (ras le bol après huit jours de faire des détours). Je ne dois pas être la première à le faire, car le piquet est à peine planté dans le sol et retrouvera sa place sans aucun souci.

Bivouac du soirLa Chamechaude se fait de plus en plus proche. Le chemin qui mène jusqu’à la Martinière en dessous de la cabane de Pierre Mesure nous arrache un nouvel effort. Quartz se fait de mieux en mieux aux dénivelées importantes et brutales, mais Kayenne continue de peiner difficilement entre les cailloux. Je me rapproche du sentier qui monte à la cabane. Il nous reste moins d’un kilomètre à parcourir, mais le panneau indique encore 40 minutes de marche. Je m’interroge... Je laisse les chevaux brouter et manger quelques pommes dans un champ ouvert et pars en repérage. Je fais vingt mètres et m’arrête. Nom de Dieu ! Le chemin monte dans un amas de rocs et de blocs calcaires dans une pente qui frôle les 20 %... Je me retourne pour regarder mes deux braves bêtes qui me suivent depuis plus d’une semaine sans rechigner. Non. Je fais demi-tour, jette un œil sur la carte et cherche une alternative possible pour la nuit.

Une fontaine, une source, le hameau de la Martinière est bien fourni en eau. Plus bas j’entends du bruit dans une petite grange. Avec tout le culot du monde, je demande s’il y a quelqu’un, reçois une réponse, puis fais ma demande. Un monsieur sort debout sur le toit. En bon renard, je demande au corbeau s’il ne connaît pas quelqu’un qui pourrait m’héberger pour la nuit. Il m’indique un vaste pré ouvert qui s’étend sous sa grange : « C’est chez moi, vous pouvez vous y mettre, ça ne gêne personne ». Les chevaux ne se font pas prier, moi non plus. J’installe le camp pour la nuit puis laisse Kayenne en liberté. Mais des prés, il y en a partout, au-dessus et en dessous de la route et la jument vadrouille trop à mon goût. Je l’attache également au pieu (emprunté à mon hôte) pour plus de sécurité. La suite me prouvera que j’ai eu raison de le faire.

Couchée tôt, comme une poule, je me réveille en sursaut à 22h30. Quartz galope comme un fou. J’entends la corde se tendre, puis céder. Comme le bruit des foulées s’est tu, je suppose qu’il s’est arrêté non loin. Kayenne se débat autour de son pieu, mais sa corde, plus courte, ne cédera pas. Je me jette hors de mon duvet et enfile mes chaussures à toute vitesse. Quartz est en effet à côté de Kayenne, les naseaux dilatés et l’œil inquiet. Kayenne se calme en me voyant. Des cris martèlent la nuit et m’inquiètent. C’est ce qui a effrayé mon gros. Je ne sais pas ce que c’est. Je pense d’abord à une vache au bord de l’agonie. J’essaie de faire abstraction de ce bruit de fond qui me glace les sangs. Quartz a cassé son mousqueton, mais tout le reste du matériel est intact. Je l’attache à un arbre pour la nuit. Il ne mangera pas, mais ce système m’apportera plus de sécurité. Les chevaux se tiendront calmes jusqu’au petit jour, mais je ne fermerai pas l’œil de la nuit à cause des cris. Ils ne s’estomperont qu’au petit matin...

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