Au cul des vaches


L’été est là, accablant le bassin grenoblois et la vallée de températures insoutenables. Pour ma part, ma formation de bergère m’offre des vacances de luxe dans un alpage laitier savoyard où la fraîcheur côtoie le soleil au quotidien. Des abondances et des tarines font des cabrioles sur des pentes abruptes et glissantes, narguant les chiens qui les coursent pour les ramener aux postes de la machine à traire. Les vaches, on ne les voit pas, mais on les entend. Leur course fait résonner la montagne sous les étoiles alors que le groupe électrogène se met en route. Les lampes éclairent vaguement des formes agglutinées devant le fil qui les empêchent de se précipiter dans les starting-blocks. Il est 3h30 du matin, la première traite de la journée commence. Les petites reines se jettent les premières en avant puis s’installent en vitesse dans leur poste de prédilection. La pompe à vide est amorcée depuis quelques minutes, les griffes sont accrochées sur leur support, tout est prêt. Cent trente-cinq vaches à traire, 3h30 de traite en début d’alpage, un peu moins de 2h45 avant la démontagnée. 

Et la nuit glisse doucement sur les pentes au-dessus du Dard et du Grand Plan. Les étoiles se dissipent, les premières lueurs rougeoyantes de l’aube chatoient sur les sommets. Les vaches prennent forme au petit matin. On peut enfin envoyer les chiens pour aller chercher les dernières paresseuses qui ruminent derrière une butte ou un rocher. En contre-bas le brouillard matinal flotte sur le lac de Saint Guérin, dissimulant encore les chalets des autres bergers. Les lumières qui clignotaient sur les autres versants s’éteignent. On surveille maintenant les départs des transporteurs, des tracteurs et des remorques à lait. À midi on pourra dire qui est parti à l’heure et qui était en retard et charrier ceux qui n’ont pas livré le lait dans les temps. À 6h30 il est temps de faire chauffer le moteur du Transpo, de vérifier que les vannes des boules à lait sont bien fermées, de faire la pousse à l’eau avant de grimper dans le véhicule et de rejoindre les collègues du versant d’en face pour mener le lait jusqu’à Plan Pichu. Les routes sont bonnes, mais il y a toujours une pierre ou une cunette pour nous faire tressauter. Il faut monter en seconde jusqu’au Cormet d’Arêches, surveiller l’heure, puis redescendre vers la fromagerie. Il ne faut pas arriver en retard, pour ne pas réveiller les fureurs du fromager, mais il ne faut pas arriver trop en avance, au risque qu’il en prenne l’habitude.



Tarines en alpageTraite de l'après midi

Alpage


Une fois sur place, on mesure la quantité de lait, on branche les tuyaux, on ouvre les vannes, puis on surveille l’opération. Il faut ensuite nettoyer les boules à lait, les rincer, charger les sacs de granulés pour les vaches, récupérer le bidon d’acide ou celui d’essence, faire le plein du véhicule ou encore récupérer les courses que Ben nous aura remontées de la vallée. Enfin on peut prendre un moment pour se poser. On rentre se réchauffer dans la salle commune du vaste chalet de Plan Pichu. Un petit déjeuner nous attend, préparé avec soin par Geneviève. L’eau est toujours chaude quand on arrive, il n’y a plus qu’à s’asseoir, à se servir et à manger. On échange rapidement les nouvelles depuis la veille au soir, on se taquine sur la quantité de lait réalisé par les différents troupeaux (3 au total), on s’informe des jours de trame et de remue des autres bergers.


Transport du lait en alpagePanneau

Chalet d'alpage de Plan Pichu

Puis il faut repartir. Quitter la douceur du poêle à bois pour la morsure du froid, repasser par le Cormet d’Arêches et redescendre sur la Grange aux Fées où Delphine et Coco nous attendent pour faire les repas de la journée. Alors à peine descendus du transporteur, on rapporte les nouvelles, on charge les piquets et les bobines de fil dans les 4x4 et on remonte ici et là pour faire des parcs pour les prochains jours. On transpire et on s’en met plein la vue jusqu’à 11h30 ou midi selon les jours. Sur les crêtes on voit la Pierra Menta, quelques fois le Mont Blanc, le lac des fées, le chalet de Plan Brunet... et l’orage qui s’approche. 

Nouvelle descente pour rejoindre le chalet. Les premiers arrivés font la vaisselle et s’occupent du repas. Les garçons font souvent des pâtes, les plus hardis s’essaient aux tartes, ou aux gâteaux. C’est toujours bon. Je fais une ou deux fois des spécialités créoles pour faire découvrir ma culture, perdue dans les montagnes savoyardes. L’ambiance est toujours bonne enfant. Ensuite, selon le temps qui nous reste, si on n’a pas trop discuté, on a le temps de faire la sieste jusqu’à 14h30 ou 15h00. Ensuite, rebelote. Il faut remonter traire les vaches, livrer le lait, faire un sourire au fromager pour éviter de se faire engueuler parce qu’on est en retard, saluer tout le monde et rentrer manger. Cette fois on aura évité la pluie, demain le beau temps est annoncé, puis les orages pour les jours suivants. On fait avec. Quel que soit le temps, la montagne est toujours aussi belle. 

Plan Pichu

AbondanceTarine

  Vue depuis le lac des Fées

Neige en alpage


Il y aura eu des fous rires, des pleurs, parce qu’on aura perdu des amis ou de la famille pendant la saison, quelques railleries, mais pas d’engueulades, des coups de fatigue et des moments de mélancolie, mais toujours, toujours, une franche camaraderie qui aura permis de se serrer les coudes dans tous les moments difficiles et d’en rire ensuite, autour d’un café ou d’un repas partagé. 

Cette première saison d’alpage, je ne l’oublierai jamais, car elle m’a donné le goût d’être en montagne et surtout d’y rester, de rencontrer des bergers formidables et passionnés par leur métier... et qui ont su me transmettre cette passion. 

Commentaires

  1. C'est beau! Ca donne l'envie de vivre là-haut au milieu des alpages! Juste de vivre simplement! :)

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  2. Est ce que j'ai des droits sur les photos,....
    Ton Papa,..

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