Jour 6 : L’Hodie - Entremont le Vieux


La nuit est sans nuages, les étoiles couvrent le monde nocturne et les chevaux dorment paisiblement. Quartz et Kayenne se sont très bien faits à l’attache à la longue corde. Excepté deux petites blessures au paturon lors de la première nuit (quinze jours avant) ils ne se prendront plus jamais les pieds dans la corde. Ils se roulent et se couchent sans aucun problème. Le ciel est clair au lever du soleil. La brume monte de la plaine sur les versants de l’Épine, mais elle sera rapidement dissipée par le vent matinal.

J’ai envie de prendre mon temps ce matin. Nous ne partons qu’à 9h20 même si la journée s’annonce longue. Kayenne est en liberté tandis que je selle Quartz. Elle part au galop, en coup de cul, tourne autour de la grange en s’agitant dans tous les sens. Elle descend en ruades et ne sait plus où se mettre. Je siffle pour la calmer. Elle accélère, fait un virage et revient vers moi au galop. Elle s’arrête à mes pieds, inquiète. Brave jument. Je suppose que j’ai mal fixé la tente sur son dos. En effet une sardine pointe sous le sac et lui pique les reins. Je perds un peu de temps à refaire mon paquetage puis nous filons vers Vimines. Un regard en arrière vers les lignes de crête que nous avons franchies la veille.

L’incertitude me prend. Sur la carte, il y a bien un chemin, mais il traverse de larges zones de pré. Ce sont sans doute plus des chemins d’exploitation que des sentiers pédestres ou équestres pour les randonneurs. Je tente tout de même le coup, je n’ai rien à perdre. Au pire, je ferai un détour d’une petite heure pour traverser la nationale et la voie ferrée à Cognin. Mais c’est mon jour de chance. J’interpelle un homme dans son jardin pour lui demander s’il connaît un passage en contre-bas. « Normalement il n’y en a pas ». Mais sa moustache frétille et un sourire naît sur ses lèvres. Il accepte de m’ouvrir son portail si je lui assure de ne passer qu’une fois. Des conflits de voisinage interdisent la construction d’un sentier dans les prés, les querelles de clocher durent depuis plusieurs années. Je le remercie et ne demande pas mon reste, je file jusqu’en bas, traverse la nationale, passe sous la voie ferrée et remonte rapidement sur une petite route : porte d’entrée de la Chartreuse. La vue donne loin : je vois le lac du Bourget et une partie de la ville de Chambéry.

De Vimines je passe plusieurs petits hameaux. Je quitte la route pour rejoindre un sentier de pays menant jusqu’au col du Mollard. Mais comme la journée a trop bien commencé, un petit obstacle me tend les bras : un tronc. Qu’à cela ne tienne, j’en prendrai presque l’habitude. Les chevaux s’engagent sans problème dans une des montées les plus longues et difficiles de notre périple. Après plusieurs grosses montées pierreuses et glissantes, je laisse les chevaux souffler. Le sentier est sans fin, même sur la carte...



Montée de la SoifPrairies


PrairiesQuartz et Kayenne en chemin

Je pourrais confirmer le fait que la Chartreuse est un massif humide. Les ruisseaux et les sources serpentent entre les arbres et débordent sur les chemins. On m’avait annoncé que les hipposandales glissaient dans la boue. Les premières fois Quartz a en effet eu des difficultés à se déplacer avec ses chaussures en plastique au bout des pieds, mais après plusieurs jours, il aura pris un magnifique planté en pince pour se fixer dans la roche ou la boue. Les chaussures ne glisseront pas plus que des fers sur le reste de la randonnée.

Enfin, le voilà, ce foutu panneau. Nous ne sommes pas bien haut, mais dans la journée nous venons de franchir plus de 1150 m de dénivelée. La descente vers Entremont le Vieux est plus douce et régulière. Le sentier se fait piste large et carrossable. L’entrée en Chartreuse Nord est splendide. Des dizaines d’hectares de prés verts s’étendent devant nous. Des cabanes de berger abandonnées pour la mauvaise saison grimpent le long des versants et les sources glougloutent tout au long du chemin. Ici c’est le paradis...

J’arrive au Désert. Une petite famille nous salue depuis le bord de la route. Kayenne décochera un bisou furtif au petit cochon avant de nous rattraper. Nous sommes encore à cinq kilomètres de l’arrivée. Mais je ne suis pas encore fatiguée et je préfère faire un bout de route pour soulager les chevaux. Je croise un cavalier qui m’indique un raccourci pour arriver au camping en un quart d’heure. « C’est un peu raide, mais ça passe bien ! » Je le crois et m’engage dans un sentier prometteur, herbeux à souhait et descendant en pente douce. Les difficultés viennent ensuite. La pente est en effet très raide et descend dans les cailloux. Mais je perdrai plus de temps et d’énergie à faire demi-tour qu’à continuer. Les chevaux me suivent sans trop rechigner alors je poursuis. Sentier pourri, merdique, à déconseiller, en descente du moins, et surtout en fin de soirée. Les chevaux franchissent la passerelle sans sourciller, mais je suis tendue.

Nous arriverons au camping à 17h30, bien fatigués cette fois, mais dans les temps. Les chevaux sont installés sur un terrain communal herbeux à souhait et à côté de la rivière. J’ai droit à deux emplacements pour le prix d’un pour pouvoir mieux surveiller les chevaux depuis ma tente. Mon copain est là qui m’attend. La surprise me réchauffe le cœur. Je ne passerai pas la soirée seule, et il a ramené avec lui des victuailles de la ferme. Pâtes aux rosés des prés, jambon et saucisson maison (Jean et Bonno se sont sacrifiés pour nous donner ces mets délicats), des tomates du jardin, des tomes fraîches de la vache à l’étable. Je rêve... plus encore quand mon copain sort deux tartelettes au chocolat. Rassasiée, une nuit réparatrice m’attend. Les étoiles continuent d’illuminer le ciel... je suis mieux ici qu’ailleurs.


Alpage

Kayenne en chemin

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